Les Ibeji de la Zone Kwara

Ilorin, la toute puissante

Dans les années 1800 la cité d'Ilorin passa sous le contrôle des Peuls du nord dans un contexte de fragmentation politique interne des Yoruba. Elle devint l'une des villes les plus puissantes du Yorubaland et une base stratégique pour étendre la domination des Peuls et Fulani sur de vastes territoires environnants. Ilorin est encore aujourdh'ui la capitale de l'État de Kwara avec plus d'un million d'habitants et reste l'une des principales cité du Yorubaland ainsi qu'un centre religieux majeur dans l'expansion de l'Islam au Nigéria.

L'étude des Ibeji d'Ilorin et des territoires avoisinants de l'État de Kwara présente des défis notables pour les historiens et spécialistes de l'Art Yoruba. Ces derniers sont souvent difficiles à classer avec précision car ils n'exhibent pas de caractéristiques stylistiques unifiées et leur grande similitude avec les Ibedji de leurs voisins Igbomina complique encore davantage la différenciation entre ces deux zones stylistiques. Face à cette difficulté, la désignation générique « État de Kwara » est souvent employée pour désigner ces Ibeji ainsi que ceux du Nord du Yorubaland de manière générale. Certains Experts englobent d'ailleurs les Ibeji de l'Etat de Kwara dans les Ibeji de style Oyo.

Les Ibeji de l'État de Kwara, et plus particulièrement les Ibeji d'Ilorin, occupent une place singulière dans l'art yoruba, reflet d'une riche tradition spirituelle et esthétique.

L’État de Kwara au nord du Yorubaland, avec la ville d'Ilorin comme l'un de ses centres majeurs, est situé à la croisée des influences Yoruba et Fulani, ce qui se manifeste dans l’esthétique particulière de ses statuettes Ibeji. Les Ibeji d’Ilorin se distinguent par certains traits stylistiques uniques qui reflètent les influences artistiques de cette région à la frontière des cultures yoruba, haoussa et fulani.

Les Ibedji d'Ilorin se caractérisent par une approche stylistique plus naturaliste et parfois plus finement détaillée que dans d'autres régions du pays yoruba. Leurs corps sont souvent sculptés avec une attention particulière aux proportions, et les visages arborent des traits plus allongés et gracieux, influencés par les techniques artisanales haoussa et peules.

Comme d'autres statuettes Ibeji, celles d'Ilorin sont souvent ornées de bijoux, colliers, perles, et parfois de vêtements de tissus locaux. Cependant, à Ilorin, on peut observer une ornementation plus sophistiquée ou influencée par les pratiques islamiques et la culture peule environnante, avec parfois des motifs gravés rappelant des styles géométriques typiques de l'art islamique ou sahélien telle la Tyrah : amulette triangulaire en cuir contenant des versets du Coran et autres matériels magico-religieux. .

La posture des Ibeji d'Ilorin tend à être droite et solennelle, avec une position des bras le long du corps ou légèrement pliée vers l'avant. Les visages expriment souvent une dignité sereine, un regard droit et perçant, presque méditatif, qui contraste avec les Ibeji plus stylisés et géométriques de régions plus au sud tels que les Ibeji de la Zone Egba, Owu ou Ijebu par exemple. Les détails des cheveux (souvent coiffés de façon complexe, avec des motifs tressés) et des scarifications sur les joues, qui symbolisent l'appartenance ethnique ou les attributs spirituels, sont particulièrement soignés.

À Ilorin, bien que l’islam soit une religion dominante, les croyances yoruba traditionnelles demeurent puissantes, créant une syncrétisme culturel fascinant. Les statuettes Ibeji incarnent ainsi à la fois une pratique religieuse et artistique qui reflète les tensions et les compromis entre le polythéisme yoruba et l’islam, deux systèmes de croyances parfois en conflit. Les rituels entourant les Ibeji, bien que discrets à Ilorin, subsistent et sont intégrés dans une culture islamique plus large.

Les statuettes Ibeji d’Ilorin et attribuées à l'Etat de Kwara, bien qu’elles partagent les caractéristiques fondamentales des Ibeji du monde yoruba, sont aussi le reflet d’un carrefour culturel unique. Elles illustrent à la fois l'importance spirituelle accordée aux jumeaux dans la cosmologie yoruba, mais également la capacité de l'art yoruba à absorber et à adapter les influences extérieures, tout en maintenant une profondeur rituelle et spirituelle intacte. Dans le cadre de l'art africain, les Ibeji d'Ilorin sont des exemples précieux de la manière dont l'art religieux évolue en interaction avec les réalités sociales, économiques et religieuses locales.

Quelques IBEJI de l'Etat de la Kwara disponibles ci-dessous :